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Les maires et la police spéciale des produits phytopharmarceutiques


Le 27 novembre dernier, un décret et un arrêté ont été pris aux fins, notamment, d’instituer des distances minimales de sécurité dans le cadre de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques (Arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques (…), NOR: AGRG1937165A; Décret n° 2019-1500 du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation, JORF n° 0302, 29 novembre 2019, textes 78 et 99). Ces textes prévoient des distances de sécurité en fonction de la dangerosité des produits concernés et de la présence de zones d’habitation ou de zones accueillant des groupes de personnes vulnérables aux alentours. Cet arrêté est entré en vigueur le 1er janvier dernier.

D’ores et déjà, compte tenu des enjeux en cause, la juridiction administrative a été contrainte de préciser l’articulation des pouvoirs de police générale des maires avec la police spéciale de l’État dans cette matière.

 

1. Refus de suspension de l’arrêté et du décret du 27 novembre 2019

Ainsi, selon requête enregistrée le 21 février 2020, le Collectif des maires antipesticides a sollicité du Juge des référés du Conseil d’État la suspension desdits décret et arrêté estimant que les distances imposées (20, 10 et 5 mètres) étaient insuffisantes. Néanmoins, le 14 février dernier , la juridiction a débouté le requérant (CE, 14 février 2020, req. 437814). Les distances préconisées étant conformes aux préconisations de l’ANSES, l’urgence n’était pas caractérisée. Relevons toutefois que le fond de l’affaire n’est pas encore jugé et qu’il en sera peut-être différemment compte tenu des recherches et études actuellement en cours.

Par ailleurs, la juridiction a rappelé que le pouvoir de police générale du maire « doit s’exercer dans le respect des dispositions législatives qui confient au ministre un pouvoir de police spécial en la matière ». Reste alors à savoir de quelle manière s’articulent les deux polices.

 

2. Possibilité de police générale subsidiaire restreinte par l’arrêté et le décret du 27 novembre 2019

Début 2020, certains arrêtés municipaux interdisant ou limitant l’utilisation de certains produits phytopharmaceutiques ainsi que de l’herbicide Glyphosate ont été déférés par le préfet de la Seine-Saint-Denis au Tribunal administratif de Montreuil. Le 3 mars 2020, la juridiction a rendusept ordonnances (TA Montreuil, ord., 3 mars 2020, n° 2002102, n° 2002165, n° 2002059, n° 2001852, n° 2001800, n° 2001642, n° 2001526). La juridiction s’est d’abord employée à constater que la compétence du Maire sur le fondement de ses pouvoirs de police générale est subsidiaire car limitée aux « cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières ». Puis, la juridiction a constaté le danger desdits produits et la carence de la police spéciale. En effet, tous les arrêtés déférés ont été pris entre le 29 aout et le 10 octobre 2019, soit avant les mesures prises le 27 novembre 2019. Enfin, la juridiction s’est attachée à étudier l’existence de circonstances locales particulières justifiant l’arrêté municipal. Il est ressorti de cette analyse la suspension de deux arrêtés pour défaut de circonstance locales particulières et le rejet de cinq demandes.

Notons donc que, la juridiction semble finalement confirmer la possibilité d’une intervention subsidiaire du maire malgré la police spéciale exclusive de l’État. Néanmoins, cette possibilité se trouve amoindrie depuis l’édiction de l’arrêté et du décret du 27 novembre 2019. En effet, sauf à justifier de circonstances locales particulières qui ne seraient pas prévues par l’arrêté et le décret susvisés, les maires doivent, dans l’attente de leur contestation au fond, s’en remettre aux distances prévues, si minimes soient-elles.

Notons également que les maires sont appelés à modifier ou abroger les arrêtés antérieurs. En effet, la juridiction s’est efforcée de rappeler l’obligation de mettre les actes administratifs en conformité avec les nouveaux textes en précisant que, même si elle est « sans incidence sur la légalité de la décision », l’existence au jour de l’ordonnance du décret et de l’arrêté du 27 novembre 2019 « pourrait entrainer l’obligation pour son auteur de l’abroger ou de l’adapter ».

 

Lucrezia Mothere, Docteur en droit