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Intérêt à agir et extension de l'urbanisation : du texte à son application

      Il est des jurisprudences dont on a parfois l’impression qu’elles ne font que rappeler des évidences, tant leurs motifs sont d’une limpidité sans faille. Pourtant, la lecture des textes analysés pouvait révéler une autre interprétation. Entre indéniablement dans cette catégorie, l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat, le 3 avril 2020 (req. n°419139) qui traite à la fois de l’intérêt à agir du tiers à l’encontre d’une autorisation d’occupation du sol et de la délicate question de l’extension de l’urbanisation sur les territoires des communes littorales.

Le contexte factuel de cette décision mérite d’être précisé tant il est singulier.

Le Conseil était saisi d’une contestation de trois permis de construire, dont deux pour des constructions nouvelles et un concernant une extension, délivrés sur des parcelles insérées au sein d’un espace remarquable du littoral. Les contestations étaient portées par un voisin proche (à environ 100 m), propriétaire d’un foncier nu et inconstructible.

     L’intérêt à agir n’allait pas de soi au regard de la lettre de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme lequel exige d’établir suffisamment que le projet affectera « directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien » du requérant. Ces notions renvoient implicitement à l’idée de présence et/ou d’exploitation des lieux. D’ailleurs, la Cour administrative d’appel de Nantes, par deux arrêts des 24 juillet 2015 et 19 janvier 2018, avait dénié cet intérêt à agir.

Cependant, les juges du Palais Royal après avoir rappelé le considérant de principe, commun à toutes les décisions statuant sur cette question, retiennent que « Le propriétaire d'un terrain non construit est recevable, quand bien même il ne l'occuperait ni ne l'exploiterait, à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager si, au vu des éléments versés au dossier, il apparait que la construction projetée est, eu égard à ses caractéristiques et à la configuration des lieux en cause, de nature à affecter directement les conditions de jouissance de son bien ».

Ce qui intéresse encore plus en l’espèce, c’est que cette atteinte directe aux conditions de jouissance du bien du requérant a été admise alors même que l’argumentation du requérant consistait à soutenir que « les constructions autorisées étaient de nature à porter atteinte aux conditions de jouissance de son bien en ce qu'elles altéraient la qualité d'un site aux caractéristiques particulières, essentiellement naturel et identifié comme un espace remarquable au sens des dispositions de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme, à l'intérieur duquel se trouvaient leurs terrains d'assiette et ses propres terrains ».

Ainsi, des considérations environnementales particulières peuvent justifier un intérêt à agir, bien évidemment, l’altération alléguée ne doit pas être théorique, mais reposer sur des « éléments suffisamment précis et étayés », selon la formule consacrée.


     L’un des permis délivrés portaient sur une extension de l’existant entraînant une augmentation de près de 50% de la surface de plancher originelle. Le requérant soutenait, qu’eu égard à son importance, il y avait là une extension de l’urbanisation, laquelle ne pouvait se faire qu’en continuité des agglomérations et villages existants (article L 121-8 du Code de l’urbanisme) et de manière limitée (article L 121-13 du même code). 

Le Conseil d’Etat balaie ces moyens en précisant que « si, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu interdire en principe toute opération de construction isolée dans les communes du littoral, le simple agrandissement d'une construction existante ne peut être regardé comme une extension de l'urbanisation au sens de ces dispositions ».

Il en déduit alors, logiquement, que s’il n’y a pas extension de l’urbanisation, la qualification de « limitée » ne présente pas d’intérêt.

     Enfin, s’agissant des permis de construire des habitations nouvelles, leur annulation ne faisait guère de doute eu égard aux caractéristiques physiques de l’environnement immédiat (vaste espace classé comme remarquable et urbanisation diffuse).

 

Philippe Parisi, Avocat associé.