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Des précisions et des incertitudes en matière de délais.

      L’état de d’urgence lié à la crise sanitaire n’aura pas manqué d’interroger le juriste sur le sens ou le contenu à donner à certaines notions présentes dans plusieurs ordonnances prises depuis le 25 mars 2020.

Ces hésitations n’ont pas disparu avec l’ordonnance n°2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures pour faire face à l’épidémie de covid-19, texte que l’on peut qualifier de fourre-tout et dont une partie concerne les délais d’instructions des autorisations d’occupations de sol.

En effet, l’article 23 de ce texte prévoit désormais : 

« L'article 12 ter (déjà modifié le 15 avril 2020) est ainsi modifié :
a) A la première phrase du premier alinéa, les mots : « Les délais d'instruction des demandes d'autorisation et de certificats d'urbanisme » sont remplacés par les mots : « Sans préjudice de la faculté de prévoir, pour les mêmes motifs que ceux énoncés à l'article 9, une reprise des délais par décret, les délais d'instruction des demandes d'autorisation et de certificats d'urbanisme » ;
b) Il est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Les dispositions du présent article s'appliquent également aux demandes d'autorisation de division prévues par le livre Ier du code de la construction et de l'habitation ainsi qu'aux demandes d'autorisation d'ouverture, de réouverture, d'occupation et de travaux concernant des établissements recevant du public et des immeubles de moyenne ou de grande hauteur prévues par le même livre, lorsque ces opérations ou travaux ne requièrent pas d'autorisation d'urbanisme. » ;
3° A la première phrase du premier alinéa de l'article 12 quater (déjà modifié par celle du 15 avril 2020), les mots : « Les délais relatifs aux procédures de préemption » sont remplacés par les mots : « Sans préjudice de la faculté de prévoir, pour les mêmes motifs que ceux énoncés à l'article 9, une reprise des délais par décret, les délais relatifs aux procédures de préemption ».

Quant à l’article 9 auquel il est fait référence, il s’agit de celui de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, lequel dispose notamment que « un décret détermine les catégories d'actes, de procédures et d'obligations pour lesquels, pour des motifs de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, de sécurité, de protection de la santé, de la salubrité publique, de sauvegarde de l'emploi et de l'activité, de
sécurisation des relations de travail et de la négociation collective, de préservation de l'environnement et de protection de l'enfance et de la jeunesse, le cours des délais reprend. ».

L’idée qui préside donc à cette partie de l’ordonnance du 22 avril 2020 est d’envisager, le cas échéant, la modification des délais d’instruction des demandes d’occupation du sol, des certificats d’urbanisme et des procédures de préemption par une reprise anticipée desdits délais. Cet ajout est certainement une réponse aux fortes critiques émises par le secteur de l’immobilier et du bâtiment qui arguait qu’une reprise des délais d’instruction (à l’origine au 24 juin 2020, puis ramenée au 24 mai 2020) était de nature à fortement obérer leur activité économique avec des programmes immobiliers qui ne pourraient débuter avant le premier trimestre 2021, purge des délais de recours oblige.

A noter d’ailleurs que l’article 9 précité renvoie, en particulier, à la notion de sauvegarde de l’emploi et de l’activité. 

Ceci ressort clairement du rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance faisant état du fait que « La suspension de ces délais pour une période plus brève doit s’accompagner de la possibilité pour le pouvoir réglementaire de fixer par décret la reprise du cours des délais dans les conditions fixées par l’article 9 de l’ordonnance du 25 mars 2020. C’est la raison pour laquelle les articles 12 ter et 12 quater de cette ordonnance sont précisés ».

En résumé, si cela est possible…, pour l’instant, les délais d’instruction reprendront (pour ceux suspendus entre le 12 mars et le 24 mars 2020) ou débuteront (pour les demandes déposées depuis le 12 mars 2020) le 24 mai 2020, mais d’ici cette date, dans la foulée de la fin du confinement annoncé au 11 mai 2020, il se pourrait qu’un décret vienne à nouveau modifier ce point de départ.

Dans cette période nécessairement complexe, également sur le plan de l’ordonnancement juridique, il existe malgré tout des motifs de satisfactions.

      Le premier concerne, comme indiqué ci-dessus, la circonstance que les délais d’instruction des demandes d’occupation du sol et de préemption concernent également l’instruction des certificats d’urbanisme, ceux-ci avaient semblé avoir été oubliés par les premières ordonnances.

      Le second, plus pratique, porte sur le point de départ du délai du 24 mai 2020. Aucun texte n’avait jusqu’alors précisé s’il s’agissait du 24 mai 2020 à 0h00 ou du 24 mai 2020 à minuit, ce qui, bien évidemment en termes de calcul n’est pas la même chose, à un jour près certes.

La réponse est apportée par la circulaire du 17 avril 2020 de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19. Le délai de deux mois de l’état d’urgence sanitaire est prévu pour s’achever le 24 mai 2020 à 0h00.

En pratique donc, les délais d’instruction et de recours des tiers, y compris le déféré préfectoral contre les autorisations d’urbanisme, reprendront ou débuteront à cette date.

Ainsi, une autorisation tacite, pour l’instruction d’un permis de construire soumis au délai de droit commun, naîtra le 24 juillet 2020, bien entendu si la demande a été déposée entre le 12 mars et le 24 mai, et qu’elle est complète.
Le recours des tiers à l’égard des autorisations des sols ne pourra plus être valablement introduit au-delà du 24 juillet 2020, sauf prorogation par un recours gracieux ou hiérarchique et à condition que l’autorisation ait été régulièrement affichée sur le terrain pendant la période de l’état d’urgence.

De même, pour les délais dont le point de départ est la fin de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois, la circulaire précise « A ce jour, compte tenu des dispositions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, la durée de l’état d’urgence sanitaire est prévue pour s’achever le 24 mai 2020 à 0 heure, de sorte que la « période juridiquement protégée » s’achèverait un mois plus tard, soit le 23 juin à minuit ». C’est donc cette date qu’il convient de prendre en compte pour calculer le délai de rejet implicite d’un recours gracieux.

 

Philippe Parisi, Avocat associé.