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La clause de non-sollicitation du personnel et la règle de proportionnalité

La clause  de non-sollicitation du personnel : une nécessaire proportionnalité aux intérêts à protéger

Cass. com., 27 mai 2021, n° 18-23.261 et 18-23.699

Les clauses de non-sollicitation du personnel ou « clause de non débauchage » permettent aux professionnels de contourner les exigences de validité des clauses de non-concurrence. Il est courant de les comparer, dès lors qu’elles interviennent au stade post-contractuel du rapport conventionnel. 

Leur objet est toutefois distinct. Les clauses de non-sollicitation du personnel sont celles par lesquelles une entreprise s’engage à ne pas recruter ou chercher à recruter un dirigeant ou salarié d’une autre entreprise. Les clauses de non-concurrence en revanche, visent à prolonger la loyauté d’un ancien salarié postérieurement au contrat de travail. Celui-ci ne pourra pas faire concurrence à son ancien employeur en s’embauchant chez un concurrent ou en créant sa propre entreprise. Stipulée dans un contrat commercial, elle veille à mettre à la charge du débiteur une obligation de ne pas concurrencer à l’issue de la relation contractuelle. 

Ces dernières sont caractérisées par un régime restrictif que l’atteinte aux libertés d’entreprendre et de travail justifie. Ainsi, en sus des conditions de limitations géographique et temporelle, la jurisprudence a posé le critère de  proportionnalité et de légitimité de ces stipulations eu égard aux intérêts protégés (Cass. soc., 14 mai 1992, n° 89-45.300). 

N’étant pas des clauses de non-concurrence, et nées de la pratique, elles échappent traditionnellement au régime de ces premières. Toutefois, la chambre commerciale de la Cour de cassation a, par un arrêt en date du 27 mai 2021, conditionné la validité d’une clause de non-sollicitation du personnel à l’exigence de proportionnalité que l’on retrouve au sein du régime des clauses de non-concurrence. 

Quel est le contenu de la solution ? 

En l’espèce, des sociétés commercialisant des fournitures bureautiques ont conclu, avec d’autres distributeurs de ces fournitures, une charte comprenant une clause nommée « Force commerciale », obligeant chacun des signataires à n’embaucher, sous réserve d’un accord explicite, aucun « commercial » employé par un autre membre du groupement ou ayant été employé mais ayant quitté ce groupement moins d’un an auparavant. Deux sociétés ont contrevenu à cette clause. Le distributeur dont les « commerciaux » ont été embauchés a assigné ces sociétés en réparation. Celles-ci contestent la validité de la clause litigieuse soutenant qu’elle est disproportionnée.La cour d’appel les a débouté de leur demande, validant la clause rappelant qu’il s’agit d’« une clause de non-sollicitation et non une clause de non-concurrence, dont elle n’est ni une variante ni une précision » pour en déduire que « le cadre rigoureux des clauses de non-concurrence ne trouvait pas à s’appliquer », et retenir que « cette clause, qui permet aux salariés de rechercher un emploi auprès d'autres entreprises non-membres du groupement, ne porte en conséquence pas atteinte à la liberté du travail » et « n’est pas disproportionnée puisq'elle précise que des accords dérogatoires sont possibles ».

La Haute juridiction casse l’arrêt d’appel et opère un revirement de jurisprudence. Elle en déduit qu’il résulte de la combinaison du premier alinéa de l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, ainsi que des principes de la liberté du travail et de la liberté d’entreprendre qu’une stipulation contractuelle portant atteinte aux dits principes n’est licite que si elle est proportionnée aux intérêts légitimes à protéger compte tenu de l’objet du contrat. Tel est le cas d’une clause de non-sollicitation de personnel liant des entreprises d’un même groupement, peu important qu’elle permette aux salariés de rechercher un emploi auprès d’autres entreprises non-membres du groupement. 

Quelle est la portée pratique d’une telle décision ? 

Cette décision permet un rapprochement des régimes de ces deux clauses post-contractuelles. Pour la clause litigieuse, c’est le principe de liberté du travail et d’entreprendre qui ne doivent pas être trop largement limités. Pour la clause de non-concurrence, c’est le fonctionnement du marché qui est préservé en veillant à restreindre les atteintes disproportionnées à la concurrence. 

Ces clauses étant fréquemment utilisées dans des actes de cession de droits sociaux, il est fondamental que les conseils spécialisés en droit des sociétés aient connaissance de cette récente position de la Cour de cassation. Les rédacteurs de telles clauses doivent désormais envisager les intérêts mis en balance. C’est en ce sens qu’apparaît une nouvelle difficulté, tant l’appréciation du critère de proportionnalité est incertaine et parfois impossible à prévoir.