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Remboursement du compte courant et société en difficulté

IMAVOCATS : Précisions quant au remboursement du compte courant d’associé d’une société en difficulté- Cass.com., 20 oct. 2021, n° 20-15736, F–D ; Cass.com., 20oct. 2021, n °20-11095, F–D - 

  Deux arrêts rendus par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 20 octobre 2021, apportent des précisions quant aux modalités de remboursement d’un compte courant d’associé d’une société en difficulté.

  Dans le premier cas la Cour de cassation exclut que ce remboursement puisse justifier une mesure de faillite personnelle.

 Dans le second cas, elle considère qu’un tel remboursement peut caractériser une faute de gestion engageant la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actif.

Il est récurrent que lorsqu’une société est opposée à des difficultés, le dirigeant, anticipe l’état de cessation des paiements et retire tout ou partie de ses comptes courants d’associés.

Comment ce retrait peut-il être organisé ? Quid du caractère fautif du remboursement du compte courant eu égard au contexte financier de la société ?

 

            Dans le premier arrêt :

            Le gérant-associé d’une SARL a procédé au remboursement partiel de son compte courant d’associé le 10 mars 2015. La cessation de paiements d’abord datée du 2 octobre 2016, a été fixée au 13 juin 2015. La société a été placée en liquidation judiciaire le 13 décembre 2016.

            La Cour d’appel prononce la faillite personnelle du gérant considérant que le remboursement du compte courant d’associé, effectuée en date du 10 mars 2015 s’interprète comme un paiement préférentiel réalisé au détriment des autres créanciers de la société et constitue ainsi un détournement d’actif. Elle ajoute que le gérant ne pouvait ignorer que le remboursement, d’un montant important, de son compte courant allait « précipiter la faillite d’une entreprise qui n’avait plus de rentrées d’argent et entraîner de manière inéluctable l’état de cessation des paiements qui est d’ailleurs survenu quelques semaines après ». Le gérant-associé se pourvoit ainsi en cassation.

            La chambre commerciale de la Cour de cassation précise au Visa de l’article L. 653-4, 5°, et L. 653-5, 4° du Code de commerce, que le remboursement du compte courant, qui correspond au paiement d’une dette de la société, ne pouvait constituer un détournement d’actif et que, intervenu avant le 10 mars 2015 quand la date de la cessation des paiements avait été reportée au 13 juin 2015, il ne pouvait davantage être qualifié de paiement préférentiel permettant de prononcer une faillite personnelle.

 

            Dans le second arrêt :

            Deux associés ont constitué une société à parts égales entre eux. Ils avaient stipulé, au sein des statuts de cette société, les modalités de remboursement de leurs versements en compte courant d’associé. En violation de ces stipulations, un associé a procédé le 19 décembre 2014 au remboursement de son compte courant.

            La société est par la suite mise en liquidation judiciaire le 12 mai 2015, et la date de cessation des paiements a été fixée au 28 avril 2015. Le liquidateur judiciaire invoque la faute de gestion pour insuffisance d’actif de l’associé ayant procédé au remboursement au visa de l’article L. 651-2 du Code de commerce.

            La Cour d’appel rejette la demande du liquidateur au motif que : « celui-ci a procédé au paiement de son compte courant d’associé tandis que les comptes bancaires de la société étaient créditeurs d'une somme supérieure au montant du remboursement. » Celui-là forme un pourvoi cassation.

            La Cour de Cassation accueille le pourvoi et casse l’arrêt d’appel au motif qu’« en statuant par de tels motifs, impropres à exclure à eux seuls la faute du gérant, à qui le liquidateur reprochait d’avoir procédé au remboursement de son compte courant d’associé en parfaite connaissance des difficultés financières de la société et particulièrement de sa situation de trésorerie, pour privilégier sa situation personnelle, la cour d’appel (...) n’a pas donné de base légale à sa décision. »

            Quid dès lors de l’appréciation du remboursement par un dirigeant de son compte courant d’associé dans un contexte de difficultés financières de la société, au regard de la faute de gestion engageant la responsabilité de celui-là ?

            Il ressort de la jurisprudence relative au contentieux de la pratique du compte courant d’associé qu’au titre de la convention du même nom, l’associé devient créancier social. Le principe de liberté contractuelle s’appliquant naturellement à ce contrat, il est possible d’y stipuler les modalités d’un tel remboursement (délais, clauses écartant ou permettant de différer la demande de remboursement).

            Il convient de rappeler que dans la pratique, à défaut de telles stipulations, le solde créditeur du compte courant est remboursable à première demande. La jurisprudence considère ce droit au remboursement immédiat et intégral comme étant la « caractéristique essentielle » du compte courant d’associé. Il est dû indépendamment des difficultés que rencontre la société débitrice et des limites de sa trésorerie disponible.

            Comment justifier une telle décision ?

            La Cour de cassation s’est positionnée en protection du mécanisme du compte courant d’associé dont elle souligne les différences en comparaison du contrat de société. L’avantage ici est bien d’échapper aux aléas sociaux. Seuls des délais de paiement peuvent être demandés par la société, mais l’associé pourra librement les refuser.

            Quid de la généralité de cette règle d’un « remboursement à tout moment » lorsque le titulaire du compte courant d’associé a, en même temps, la qualité de dirigeant et que par la suite la société bénéficie d’une procédure de liquidation judiciaire, comme ce fut le cas dans les deux espèces rapportées ? Dans cette hypothèse précise, peut-on lui reprocher d’avoir procédé au remboursement, dès lors qu’il connaissait l’étendue des difficultés financières de la société ?         

En l’espèce, la Cour de cassation précise que si ce comportement ne peut justifier une mesure de faillite personnelle à l’encontre du dirigeant, il peut potentiellement être qualifié de faute de gestion et engager la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actif.