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Les règles propres à l’abus de biens sociaux

Le rappel par la chambre criminelle des règles propres à l’abus de biens sociaux

 A la suite de grands scandales, notamment l’affaire Stavisky ayant marqué la fin de la IIIème république, la notion d’abus de biens sociaux est apparue en droit français par un décret du 8 août 1935. Défini aux articles L.241-3 4° et 5° et L242-6 3° et 4° du Code de commerce, le délit d’abus de biens sociaux consiste dans le fait pour un dirigeant d’une société de détourner les biens de cette dernière à des fins personnelles. Mais quelles sont les règles propres à l’abus de biens sociaux en ce qui concerne tant le dol spécial, requis au titre de ce délit, que son imputabilité ?

C’est par un arrêt rendu le 4 novembre 2021 que la chambre criminelle de la Cour de cassation vient rappeler les fondements de ce délit. En effet, la preuve de l’usage à des fins personnelles du détournement des biens du dirigeant est facilitée par le jeu d’une présomption simple posée par la jurisprudence, lorsque le dirigeant a prélevé des fonds sociaux de façon occulte. Mais les juges répressifs doivent impérativement, en sus de retenir le dol spécial, caractériser préalablement la qualité de dirigeant du coupable afin d’établir l’imputabilité.

Les faits sont les suivants : deux coprévenus n’ont pu expliquer les raisons du virement d’une somme de 283 795 € en provenance d’une société vers un des prévenus et n’ont pu d’avantage justifier le retrait d’espèces pour un total de 4000 € au préjudice de ladite société sur la même période. Le silence a également été gardé en ce qui concerne l’explication de la perception par un tiers de la somme de 47 880 € provenant d’une seconde société.

Condamnés par le tribunal correctionnel de l’ensemble des délits reprochés dont l’abus de biens sociaux, les deux prévenus et le ministère public ont interjeté appel de la décision.

La cour d’appel de Reims, dans un arrêt du 9 janvier 2020 a déclaré coupable d’abus de biens sociaux le dirigeant de fait de la société, en vertu de la présomption simple de l’intérêt personnel des dirigeants, dès lors qu’il n’a pas justifié que les fonds sociaux, prélevés de manière occulte, ont été utilisés dans le seul intérêt de la société. Ladite cour d’appel a également retenu le deuxième prévenu coupable dudit chef pour les mêmes raisons.

La Cour de cassation, dans cet arrêt rendu le 4 novembre 2021, rejette le pourvoi du premier prévenu, dirigeant de fait, et confirme sa culpabilité. Cependant, la Haute-Cour casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel en ce qu’elle retient la condamnation du second prévenu.

Pourquoi une telle décision de la Haute-Juridiction ? Quel est l’intérêt de celle-ci ?

Pour retenir le délit d’abus de biens sociaux, la Cour de cassation rappelle la nécessité pour les juges du fond d’établir premièrement un dol spécial avant de caractériser l’imputabilité de ce délit.

  • Sur le dol spécial de l’abus de biens sociaux

L’acte contraire à l’intérêt social en lui-même ne suffit pas à constituer le délit d’abus de biens sociaux. Le dirigeant social doit avoir agi à des fins personnelles. Or, dans le droit pénal des affaires, il existe un principe prétorien qui permet la présomption simple de l’utilisation de ces fonds dans l’intérêt personnel du dirigeant. Ce mobile peut évidemment être contré en présence d’une justification contraire par le dirigeant. En ne relevant aucune explication en ce sens de la part des prévenus sur l’usage, la cour d’appel a parfaitement justifié sa décision sur leur culpabilité.

  • Sur l’imputabilité de l’abus de biens sociaux

Le délit d’abus de biens sociaux est, à la différence de nombreuses infractions du droit pénal, un « délit de fonction ». Il ne peut être imputé exclusivement, à titre d’auteur principal, aux dirigeants sociaux de droit ou de fait. Pour caractériser le lien entre l’infraction et son auteur, c’est-à-dire l’imputabilité, il est ainsi nécessaire que ce dernier ait la qualité de mandataire social et qu’il participe personnellement aux faits constitutifs de l’infraction. Est donc logiquement ici cassé par la chambre criminelle l’arrêt d’appel qui s’est borné à constater que le deuxième prévenu n’apportait pas la preuve de l’utilisation des sommes reçues sans caractériser préalablement sa qualité de dirigeant de cette société.